Navigation – Plan du site

AccueilNuméros86Dossier : Interaction entre Assyr...Avant-propos – Interaction entre ...

Dossier : Interaction entre Assyriens et Araméens

Avant-propos – Interaction entre Assyriens et Araméens

Christine Kepinski et Aline Tenu
p. 7-15

Résumés

L’interaction entre Assyriens et Araméens fait l’objet de nombreux débats que des recherches archéologiques récentes alimentent de nouveaux éléments. Tandis que les Assyriens occupent un empire aux frontières fluctuantes, les Araméens sont avant tout définis par leur langue ; les limites de leurs territoires sont vagues et ils se trouvent dans plusieurs régions du Proche-Orient. La rencontre entre Assyriens et Araméens qui se déroule sur presque un demi-millénaire est complexe et se caractérise par des modalités fortement régionalisées. D’abord connue par leurs affrontements militaires, elle comprend aussi un important volet culturel. Des éléments des deux composantes se côtoient et sont empruntés par l’une ou l’autre. Ces échanges sont favorisés par un fonds culturel commun, mais sont néanmoins parfois rejetés. Les cultures matérielles des sites placés sous une autorité araméenne s’enracinent dans un substrat local ancien. Ainsi sans révéler un monde totalement étranger, les caractères véhiculés par les Araméens illustrent des organisations économiques spécifiques nouvelles et variées, des modifications dans l’occupation des territoires, une construction identitaire forte perceptible avant tout dans le domaine artistique.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Nous remercions tout particulièrement le comité éditorial de Syria qui a accepté avec enthousiasme (...)
  • 2 Nos remerciements s’adressent également au comité organisateur du Congrès qui a bien voulu accepter (...)

1Le présent dossier correspond à la publication1 des communications données au cours d’une table ronde consacrée à l’interaction entre Assyriens et Araméens, organisée dans le cadre du 6e ICAANE (International Congress of the Archaeology of the Ancient Near East)2 à Rome le 6 mai 2008. Étant donné les contraintes liées à la tenue de cet événement dans le cadre d’un vaste congrès international, nous l’avons conçu d’emblée comme une opportunité de réunir quelques archéologues possédant des données nouvelles ou inédites sur ce sujet sans prétendre à l’exhaustivité des acteurs et de la problématique. Il ne s’agit donc nullement de proposer une synthèse de la “question araméenne” aux multiples facettes et variations, notamment géographiques, mais bien plutôt d’offrir quelques cas d’étude, des exemples bien documentés tirés des dernières recherches archéologiques qui permettent de réactiver le débat en partant des données de terrain.

2L’interaction entre Assyriens et Araméens est un sujet principalement discuté par les historiens qui ont identifié les Araméens et les ont reconnus avant tout au travers d’une langue spécifique. Toutefois les sources écrites ne se sont que peu renouvelées ces dernières années alors que de très nombreuses missions archéologiques ont mis au jour des niveaux datés du xiie au viie siècle, depuis les premières campagnes assyriennes contre les Araméens jusqu’à la soumission des grands centres urbains araméens du Levant.

3Si on veut bien admettre que la culture matérielle reflète les sociétés qui la créent, l’utilisent et la véhiculent, l’archéologue est en droit de se poser la question de l’interaction entre Assyriens et Araméens et ce dossier constitue une première tentative en ce sens. Le but de cette recherche est d’étudier comment se traduit cette rencontre du point de vue archéologique, si on peut identifier des traits culturels distincts, dans quel domaine et le cas échéant comment ils évoluent. Elle constitue également une opportunité de voir si, durant cette période de grands changements, les données archéologiques valident plutôt l’hypothèse de mouvements de population ou bien celle des changements socio-économiques internes car, en dernière analyse, la question demeure au cœur des débats.

Problématique

4L’interaction entre les Assyriens et les Araméens est une question complexe et on se doit de rappeler en préambule que tandis que les Assyriens occupent un empire dont les frontières sont à géométrie variable, ils sont soumis à une autorité unique, alors que les Araméens se distinguent avant tout par leur langue. Leurs territoires restent mal définis et non unifiés et ils recouvrent plusieurs régions du Proche et Moyen-Orient.

  • 3 Cooper 2006b, p. 257-277, Kuzucuoglu & Marro 2006, Tainter 1987, Wilkinson 1997.
  • 4 Voir par exemple Hunger & Pruzsinszky 2004 ; Klengel 2000 ou Ward & Sharp Joukowsky (éd.), 1992.
  • 5 Neuman & Parpola 1987, Kirleis & Herles 2007.
  • 6 Oren 2000.
  • 7 Liverani 1988.

5C’est au travers des récits de leur affrontement avec les Assyriens que les Araméens apparaissent dans l’Histoire. Les premiers témoignages interviennent au cours de la période de grands bouleversements qui commencent autour de 1200 av. J.-C., à la transition entre âge du Bronze et âge du Fer. Cependant tout comme dans le cas des crises qui se déroulent à la fin du IIIe millénaire3, toutes les régions ne sont pas affectées de la même façon et les causes invoquées pour expliquer ces modifications profondes sont multiples. Il ne fait aucun doute qu’il n’existe pas une origine unique qui rendrait compte de l’ensemble des processus en cours. Elles font l’objet de nombreux débats4 et les hypothèses principales évoquent soit des événements environnementaux exceptionnels5, soit des mouvements de peuples6 ou bien encore une évolution des structures socio-économiques internes7.

  • 8 Voir notamment Briquel-Chatonnet 2004 ; Dion 1997 ; Lipiński 2000a ; Liverani, 1987 ; Masetti-Rouau (...)

6En Mésopotamie, les Araméens, tout comme les Amorrites à la fin du IIIe millénaire et au début du IIe, ont d’abord été perçus comme des envahisseurs venant des franges du désert et plus particulièrement du Djebel Bishri. Depuis un certain nombre d’années, ces vagues migratoires ne sont plus considérées comme vraiment exceptionnelles et les Araméens sont aussi interprétés comme des groupes moins issus des crises que révélés par elles. Ces deux grandes hypothèses connaissent bien sûr de nombreuses variantes et il n’est pas possible de commenter l’ensemble de la littérature extrêmement riche qui leur est consacrée8.

Cadres de l’analyse

7L’essentiel des informations nouvelles provient de régions situées à l’ouest de l’Assyrie, mais nous avons aussi pris en considération ses marches méridionales et septentrionales. Les régions documentées dans ce dossier sont variées et permettent ainsi de percevoir les différentes manières dont elles ont été affectées par les Assyriens et les Araméens. Nous avons procédé en commençant par la Djézireh, puis le haut Tigre, le haut Euphrate syrien, la vallée de l’Oronte et ses environs, la vallée du Khabur et enfin le moyen Euphrate (fig. 1).

Figure 1

Figure 1

Principaux sites évoqués

Carte A. Tenu, fond de carte M. Sauvage d’après Fr. Joannès dir.,
Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, R. Laffont, Paris 2001, p. 67.

8D’un point de vue chronologique, l’interaction entre Assyriens et Araméens est différente selon les régions et varie selon que ces dernières furent ou non soumises à l’autorité d’Aššur à l’époque médio-assyrienne. On peut distinguer, à la suite de G. Bunnens, quatre grandes étapes qui rythment la rencontre entre Assyriens et Araméens, des premiers affrontements à la soumission de l’ensemble du Proche-Orient au roi d’Assyrie.

91) La transition entre âge du Bronze et âge du Fer quand, pour la première fois, les Araméens apparaissent à l’Histoire.
2) La période de constitution des principautés araméennes quand l’Assyrie est affaiblie.
3) L’époque de la reconquête (jusqu’au règne de Shalmanasar III) puis de conquête jusqu’aux Sargonides.
4) Enfin l’« apogée » impérial assyrien au viie siècle.

10Jusqu’à la vallée de l’Euphrate, toutes les étapes sont documentées alors qu’à l’ouest, même si l’occupation perdure durant toutes les périodes du Fer, elle est particulièrement florissante au viiie siècle et la conquête assyrienne ne la concerne qu’à partir de la fin de ce siècle.

Principaux résultats

11De l’ensemble de ces contributions, on peut déduire trois grands types de résultat. D’abord, elles permettent une analyse régionale de l’interface entre Assyriens et Araméens en fonction de la situation par rapport à l’empire médio-assyrien. Ensuite, elles fournissent des pistes de réflexion pour appréhender la richesse des relations entre Assyriens et Araméens. Enfin, elles soulignent certains traits culturels spécifiques qui permettent aux archéologues de les distinguer et d’alimenter la problématique.

Approche régionale de l’interaction Assyriens/Araméens

12Dans ce dossier, trois zones se distinguent en fonction de leur soumission ou non à l’emprise assyrienne dès le IIe millénaire. Pour H. Kühne, l’interaction entre Assyriens et Araméens apparaît avant tout comme un processus régional, qui ne peut se réduire à une simple perspective centre/périphérie tant elle met en jeu des composantes souvent imbriquées les unes dans les autres.

  • 9 Sur la définition du pays d’Aššur, voir Postgate 1992.

13Une première région, qui couvre le triangle du Khabur (Tell Barri), la moyenne vallée du Khabur autour de Tell Ajaja et la haute vallée du Tigre, est définie par son intégration à l’empire médio-assyrien et plus précisément même au système administratif médio-assyrien. Elle est donc partie intégrante du pays d’Aššur9. La deuxième région est constituée par la vallée de l’Euphrate, frontière de l’empire médio-assyrien et véritable interface avec ses voisins hittites, babyloniens mais aussi tribus bédouines de la steppe. C’est précisément le lieu où se rencontrent pour la première fois, d’après la documentation écrite, Assyriens et Araméens pendant le règne de Tiglath-Phalazar Ier. Enfin la troisième zone, la plus occidentale, ne fut jamais soumise à l’Assyrie avant le Ier millénaire. L’affrontement des Araméens avec les Assyriens ne participe donc plus du tout de la vaste entreprise assyrienne de reconquête des territoires perdus amorcée à la fin du xe siècle. Cette différenciation paraît essentielle tant dans la chronologie de la rencontre Assyriens/Araméens que dans le rapport des rois néo-assyriens aux territoires qu’ils soumettaient.

1. La Djézireh et la haute vallée du Tigre

14Cette vaste région, hétérogène sur le plan géographique, paraît pourtant avoir partagé une histoire commune : partie intégrante de l’empire médio-assyrien, elle aurait ensuite échappé à la domination assyrienne à la faveur des installations araméennes. Pourtant, les contributions d’A. D’Agostino, de H. Kühne d’une part et de J. Szuchman d’autre part révèlent des situations très différentes au tournant des IIe et Ier millénaires. A. D’Agostino souligne qu’on passe d’un répertoire médio-assyrien standard à des formes céramiques de plus en plus variées puis à l’assemblage néo-assyrien. L’assyrianisation reste donc très forte. Pour lui, la même communauté continuait à occuper le site de Tell Barri et on peut sans doute restituer des contacts culturels, voire des liens politiques pérennes entre cette partie du triangle du Khabur et Aššur. H. Kühne quant à lui, suggère que le Khabur constituait en fait le limes assyrien contre la pénétration araméenne. Cette situation contraste avec celle relativement comparable du point de vue administratif de la haute vallée du Tigre qui fut sans doute province assyrienne dès le xiiie siècle également, d’après J. Szuchman. Cet auteur montre l’importance sur le haut Tigre des ruptures tant dans la céramique que dans la nature des installations.

  • 10 Tenu 2009, p. 18-19 et p. 264-265.
  • 11 Sader 1992, p. 159.
  • 12 Nassouhi 1927, p. 6.
  • 13 La ville Gadara Raqammatu fut perdue sous le règne de Tiglath-Phalazar II (966-935 av. J.-C.), mais (...)

15Plusieurs phénomènes peuvent expliquer cette différence majeure. L’abandon de la culture assyrienne sur le haut Tigre pourrait trouver son origine dans l’importance de traditions locales toujours vivaces ou dans le fait que la présence assyrienne proprement dite y était, en fait, peu importante. Peut-être a-t-on aussi surévalué le recul assyrien en Djézireh même, ainsi que le suggèrent A. D’Agostino et H. Kühne10. On considère encore dans l’historiographie que l’Assyrie avait perdu l’essentiel de son territoire très vite dès la fin du règne de Tiglath-Phalazar Ier et ce jusqu’au ixe siècle, mais comme le rappelle H. Sader11 trois villes seulement sont explicitement prises par les Araméens. De plus, la mention du gouverneur de Šadikanni qui reconnaissait encore l’autorité assyrienne sous Aššur-râbi II (1012-972) et Aššur-reš-iši II (972-968)12 invite à réviser une vision trop réduite de l’Assyrie : à peine une à deux générations se seraient écoulées entre la perte du triangle du Khabur et sa reconquête13. Cela peut naturellement expliquer pourquoi les indices d’une perte d’emprise assyrienne sont si maigres dans le Khabur.

2. La vallée de l’Euphrate

  • 14 Tenu 2006, 2007b, 2009, p. 247-249 et sous presse b.
  • 15 Grayson 1991, p. 23.
  • 16 Voir aussi Tenu 2006 et 2008. Pour un rappel historique de l’histoire du moyen Euphrate au Ier mill (...)

16La vallée de l’Euphrate forme une zone distincte de la région précédente et elle présente plusieurs spécificités. D’abord, elle constitue la frontière de l’empire médio-assyrien et en cela elle est une zone mouvante, fortement marquée sur le plan symbolique14. C’est également une zone de contacts avec les mondes hittite ou babylonien et enfin c’est là que se déroula la rencontre entre Assyriens et Araméens, qui apparaissent ici pour la première fois sous ce nom15. Un certain nombre de forteresses notamment dans la région du moyen Euphrate, telle à Khirbet ed-Diniyeh, comme le rappelle ici Ch. Kepinski, témoignent peut-être de la violence de ces affrontements16.

  • 17 Fales, Radner, Pappi & Attardo 2005.

17Les différentes contributions montrent également les nombreuses acculturations qui s’opèrent dans cette zone entre Assyriens et Araméens. À Tell Shiukh Fawqâni, la découverte de l’archive bilingue17 en est un exemple frappant. L’existence de la nécropole à incinération sur un très long laps de temps est en soi l’indice d’une importante continuité. Les pratiques funéraires, comme le montre A. Tenu, ne changèrent pas radicalement au gré des différentes conquêtes. Tell Ahmar offre également l’exemple d’une interaction très riche : les Assyriens, rappelle G. Bunnens, respectèrent le palais araméen qu’ils entretinrent et restaurèrent. Les tombes découvertes à Khirbet ed‑Diniyeh, précise Ch. Kepinski, livrèrent des objets dont l’origine est particulièrement variée : des objets en métal venus d’Iran ou du Levant côtoient des récipients babyloniens, assyriens ou levantins.

18Le troisième élément qui caractérise cette région est l’importance des traditions locales enrichies d’apports des États voisins hittite ou babylonien notamment. O. Rouault montre ainsi la persistance des racines anciennes tout au long des “âges obscurs”, relayées par la mainmise babylonienne sur la région au milieu du xiiie siècle. Au nord, à Tell Shiukh et Tell Ahmar, la tradition néo-hittite est perceptible, selon G. Bunnens, dans certains objets et dans l’apparent prestige dont jouissait Karkemiš.

3. Tell Afis et Mishrifeh

19Cette zone, située dans la vallée de l’Oronte ou à proximité, offre une image très différente du contact entre Assyriens et Araméens. Autant il est difficile d’associer des établissements ou des niveaux archéologiques aux Araméens dans les deux premières régions, autant ces deux sites attestent d’occupations araméennes florissantes dans le contexte “balkanisé” (D. Morandi Bonacossi) des États néo-hittites et araméens. Le passage d’armées néo-assyriennes dans ce secteur n’est pas nécessairement beaucoup plus tardif que dans les deux précédents, mais la fin de l’indépendance est, elle, bien postérieure.

20La première étape des contacts entre Assyriens et Araméens consiste en des influences culturelles perceptibles notamment dans le matériel céramique, ainsi que le rappelle D. Morandi Bonacossi. À ces échanges succède une période beaucoup plus troublée datable de la fin du viiie siècle av. J.‑C. ou du début du viie siècle quand le puissant État de Hamath entraîna dans sa rébellion contre les Assyriens les villes de Tell Afis et de Mishrifeh. Cette révolte se solda par la victoire assyrienne.

21La troisième phase des contacts Assyriens/Araméens, celle de l’intégration à l’empire, offre une image très contrastée, malgré une continuité dans la culture matérielle soulignée par D. Morandi Bonacossi et S. Soldi. L’arrivée des Assyriens, la perte d’indépendance et l’intégration à l’administration assyrienne révélée par la découverte de sceaux cylindres n’eurent sans doute pas de conséquences majeures sur la population elle-même, relativement peu affectée par ces événements politiques majeurs. Pourtant Tell Afis, quoique rebelle, ne fut pas détruite, mais reconstruite, restaurée et respectée car elle devient un relais du pouvoir assyrien, alors que Mishrifeh, ville artisanale importante du royaume de Hamath, ne fut pas intégrée au maillage administratif des vainqueurs et de ce fait déclina considérablement.

De l’affrontement à la koinè culturelle

22L’autre volet important de ce dossier est la mise en évidence de la richesse des relations entre Assyriens et Araméens qui dépassent largement les affrontements militaires rapportés par les inscriptions royales assyriennes. Les conflits violents qui les opposèrent trouvent une confirmation sur le plan archéologique, mais on voit aussi l’émergence de goûts partagés sans doute sous-tendue par un important arrière-plan culturel commun. Enfin, on peut se demander s’il y eut parfois refus de l’autre et de sa culture.

1. Les affrontements militaires

23Cet aspect le mieux documenté par les inscriptions royales assyriennes est également attesté sur le plan archéologique. En témoigne d’abord la militarisation de la vallée de l’Euphrate à partir de la fin du xiie siècle et du début du xie siècle. Outre que les forteresses du moyen Euphrate ont apporté les premières attestations archéologiques de la présence médio-assyrienne dans cette zone, elles ont contribué à révéler l’histoire mouvementée de la région. La forteresse de Khirbet ed-Diniyeh présente en effet des reconstructions qui sont peut-être liées, pour Ch. Kepinski, aux sièges subis par la place forte quand les Assyriens reprirent possession de la région. À Tell Afis, la guerre avec l’Assyrie est sans doute à l’origine, d’après S. Soldi, de l’érection à la hâte d’un rempart épais de 5,2 m construit sans fondation. Dans la haute vallée du Tigre, précise J. Szuchman, les offensives araméennes forcèrent les Assyriens à abandonner complètement le secteur qu’ils contrôlaient pourtant depuis deux siècles.

24Au nord, dans le haut Khabur et le haut Tigre, au début de la période considérée, la conquête araméenne entraîne l’abandon des caractères urbains et des établissements comme Tell Barri, Ziyaret Tepe ou Giricano connaissent soudainement une contraction et/ou deviennent de simples villages, selon J. Szuchman. À l’inverse, et plus tard, à Tell Ahmar, selon G. Bunnens, des vestiges architecturaux modestes sont remplacés par des bâtiments caractéristiques des capitales d’Assyrie.

25Ces affrontements violents ne doivent cependant pas faire oublier l’importante continuité dans l’occupation constatée par la plupart des auteurs. Ils notent ainsi une lente évolution et la persistance des cultures locales. Celles-ci concernent principalement les assemblages céramiques qui perdurent quelle que soit l’autorité politique, l’un des meilleurs exemples de cette stabilité se trouvant à Tell Barri comme le souligne A. D’Agostino. À Tell Ahmar, après la conquête assyrienne du ixe siècle, on restaure le palais araméen et la présence assyrienne ne met pas fin subitement à la tradition syro-hittite, indique G. Bunnens. À Tell Afis, de même, la ville est sans cesse entretenue, comme le montre S. Soldi, ainsi que le temple principal de la ville découvert récemment. À Khirbet ed-Diniyeh/Haradu, précise Ch. Kepinski, la forteresse avec ses murs à casemates est restaurée par les Araméens selon le même plan et les mêmes techniques de construction que ceux de la place forte édifiée au xie siècle par les Assyriens et par la suite, lors de la reconquête assyrienne, elle le sera à nouveau. Sur ce site enfin et sur celui de Tell Shiukh Fawqâni, montrent respectivement Ch. Kepinski et A. Tenu, les aléas de la domination politique n’affectent pas en profondeur l’ensemble des pratiques funéraires, les mêmes cimetières sont utilisés.

26Mishrifeh constitue un cas complexe : la ville n’est apparemment pas détruite et la population n’eut guère à souffrir des modifications politiques majeures qui suivirent la victoire assyrienne, mais cette dernière sonna cependant le glas de sa prospérité. La ville fut peut-être délibérément ignorée par les Assyriens pour la punir de s’être rebellée, les artisans spécialisés et plus généralement l’élite de la ville qui assuraient sa richesse ont peut-être été déportés ou bien son déclin fut juste un effet secondaire du “projet” assyrien qui, en n’intégrant pas la ville à son réseau administratif, commercial ou économique, signa sa fin.

27Ces cas offrent une vaste palette des relations armées entre Assyriens et Araméens depuis la construction des forteresses jusqu’à l’abandon de sites ou de régions en passant aussi par le respect des structures existantes.

2. Imitation, emprunt et diffusion : l’émergence d’une culture partagée

  • 18 Matney et al. 2002, p. 69-70. Pour celle d’Aššur, voir Duri 2002, p. 92-101.

28Ce deuxième volet de l’interaction entre Assyriens et Araméens est particulièrement riche. Plusieurs auteurs ont souligné combien la culture matérielle peut être commune aux sites assyriens et araméens. Il paraît bien attesté que, quelle que fût l’importance des conflits armés qui les opposèrent, la culture assyrienne devait sans doute exercer sur les élites araméennes une certaine fascination. Ainsi, à Mishrifeh au viiie siècle, les quelques formes de céramique assyrienne retrouvées dans la ville araméenne correspondent à de la vaisselle de table et pourraient bien illustrer une imitation des modes de vie assyriens, ainsi que le propose D. Morandi‑Bonacossi. De même, peut noter la diffusion de motifs iconographiques dans la glyptique ou dans la sculpture, à Tell Barri ou à Tell Ahmar par exemple. Sur ce dernier site furent également découvertes des mosaïques de galets. Ce type de décor est aussi attesté à Arslan Tash dans le bâtiment aux ivoires, en amont sur l’Euphrate à Tille Höyük, dans la vallée du Tigre à Ziyaret Tepe et enfin à Aššur même18. La répartition de ces attestations montre le succès de ce motif dans tout l’empire. Par ailleurs, Ch. Kepinski souligne que le guerrier, sans doute araméen, enterré sous le rempart de la forteresse assume les symboles du pouvoir assyrien. H. Kühne remarque également combien la statuaire du site assyrien de Šadikanni reflète des influences araméennes. Il ne fait pas non plus de doute que les objets voyagent aussi comme en témoigne par exemple le bol caréné en bronze de type assyrien découvert à Tell Afis. Enfin la découverte des “manchons en terre cuite” dans le temple in antis à Tell Afis reflèterait l’utilisation de dispositifs similaires (peut-être liés à des systèmes complexes d’aération) pour la construction monumentale au Levant et en Assyrie même à Dûr-Šarrukîn. Cette imbrication des relations invite plusieurs chercheurs, ainsi H. Kühne et M. G. Masetti-Rouault, à rejeter le terme “art assyrien provincial” tant il rend mal compte de l’émulation entre Assyriens et Araméens, les transferts culturels se faisant dans les deux sens.

3. Un fonds culturel commun

29Si pas un seul site ne corrobore l’hypothèse de l’irruption d’un groupe porteur d’une culture étrangère, ni d’une arrivée massive de traditions nouvelles, plusieurs auteurs ont, au contraire, mis en avant l’existence entre Assyriens, Babyloniens et Araméens d’un arrière-plan culturel commun. Ce fonds partagé a sans doute grandement facilité la diffusion des motifs iconographiques, des objets ou des techniques que nous venons d’évoquer. Le plan in antis du temple principal de la ville de Tell Afis remonte au IIIe millénaire et des exemples en sont bien attestés aussi bien à Ébla qu’à Rawda. Pour M. G. Masetti-Rouault, la stèle de Terqa montre l’extraordinaire persistance d’un motif mythologique attesté depuis le milieu du IIIe millénaire dans les archives d’Ébla. O. Rouault insiste également sur le fait que, dans le secteur du moyen Euphrate, les États araméens étaient profondément ancrés dans une tradition urbaine jamais éteinte.

4. Le refus de la culture de l’autre

30Le dernier aspect qui a été envisagé par différents auteurs est celui de la résistance, voire du refus éventuel de la culture de l’autre. Cette piste de recherche est particulièrement stimulante car elle présuppose que la culture araméenne n’est pas une pâle imitation, mal réussie en général, des productions artistiques des grands États voisins. Dépourvus de culture propre, les Araméens n’auraient eu d’autres choix que de s’approprier la culture qui préexistait à leur arrivée. Cette vision est critiquée, rappelle M. G. Masetti-Rouault, par plusieurs savants qui perçoivent non seulement une spécificité de la culture araméenne, notamment dans la région du moyen Euphrate et du Khabur, mais encore sa capacité à résister à celle des Assyriens. Pour A. Tenu et Ch. Kepinski, le choix de la crémation est peut-être un élément en ce sens : ce traitement du défunt se distinguant complètement de celui pratiqué par les Assyriens, il aurait pu être un moyen d’affirmer sa différence. De même, J. Szuchman souligne que tout en étant dans la région du haut Tigre un marqueur du Fer I, la « groovy ware » présente de nombreux parallèles avec plusieurs sites de Syrie du Nord, d’Anatolie de l’Est jusqu’au lac de Van, d’Iran et d’Arménie.

Éléments de caractérisation des cultures araméennes

31Plusieurs contributions permettent de proposer quelques pistes pour caractériser les cultures araméennes. Si ces éléments concernent en premier lieu les modes d’occupation de l’espace, plusieurs semblent indiquer des changements d’ordre économique tandis que d’autres concernent plus particulièrement la culture matérielle proprement dite.

  • 19 Rouault, ce volume, Briquel-Chatonnet 2004, p. 31 et suiv., Kepinski 2006, p. 107-110, Kepinski ce (...)

32Volontiers implantés sur d’importantes voies de passage (Tigre, Euphrate, Oronte), comme le montre O. Rouault, les sites araméens sont aussi souvent situés à proximité de la steppe et des grandes zones de pâture où la présence de nomades ou de semi-nomades est de tout temps importante. Ainsi Mishrifeh se trouve-t-elle en Syrie centrale, entre le Levant Sud et la Syrie du Nord, précise D. Morandi‑Bonacossi, tous les sites du moyen Euphrate sont situés au carrefour des voies qui relient la Mésopotamie, l’Iran, l’Anatolie, le Levant mais aussi et surtout sur celles qui s’ouvrent vers la steppe, l’Arabie et la côte africaine19, etc. Ce sont souvent des régions propices au maintien de fortes traditions locales et où on assiste à l’abandon cyclique des occupations et à l’alternance des pouvoirs, comme le rappelle ici O. Rouault.

  • 20 Lipiński 2000a, p. 253, Dion 1987, p. 358-366.

33Les sites araméens illustrent souvent des modifications d’ordre économique en relation avec la production ou la distribution des biens20. Profondément impliqués dans le commerce à longue distance, comme en témoignent les nombreux objets ayant des parallèles du Levant au Plateau iranien à Haradu, et sur le haut Tigre, selon J. Szuchman, dans une gestion nouvelle des surplus agricoles, les Araméens jouaient également un rôle important dans la transformation de biens, la laine ou les produits agricoles à Mishrifeh comme l’attestent les fouilles conduites par D. Morandi Bonacossi, ou dans la diffusion de technologies notamment celle du fer ou d’éléments du bâti (manchons en terre cuite), suggèrent respectivement A. Tenu et S. Soldi). Ainsi la fabrication des objets en fer qui ne nécessite pas un équipement complexe se développe-t-elle au moment où, sur certains sites, s’effacent les caractères urbains et la standardisation de la céramique. Enfin la statuaire et l’iconographie, qui reflètent les mentalités, sans doute plus que tout autre aspect de la culture matérielle, donnent des exemples d’un art araméen spécifique si l’on suit les propositions de M.‑G. Masetti‑Rouault et H. Kühne.

Conclusion

34L’ensemble des contributions réunies dans ce dossier offre des cas issus de différents contextes chronologiques ou géographiques qui montrent la très grande diversité de la documentation archéologique, mais aussi de la physionomie des sites araméens. Cette hétérogénéité ne doit pas surprendre : les Araméens eux-mêmes, rappelle A. Tenu, ne se considéraient apparemment pas comme appartenant à une seule et même entité culturelle. Si les situations ne sont guère comparables, on peut néanmoins souligner l’impression de dynamisme culturel qui se dégage de ces études, en dehors mIeme de celle, évidente, de la langue araméenne.

35L’interaction entre Assyriens et Araméens ne se réduit pas à des affrontements militaires. Elle comporte également un important volet culturel qui se traduit par des échanges, des emprunts mais aussi des rejets qui à eux seuls soulignent l’existence de deux composantes distinctes. Ainsi les Araméens ne sont-ils pas complètement invisibles même si les cultures matérielles des sites placés sous une autorité araméenne comportent un substrat local aux racines très anciennes et sont souvent à la fois très fortement régionalisées et marquées par les occupations qui les ont précédées. Les caractères véhiculés par les Araméens, sans révéler un monde totalement étranger, illustrent néanmoins des organisations économiques spécifiques, complexes et variées, des changements dans l’occupation des territoires et une construction identitaire forte. Les Assyriens quant à eux sont amenés à adopter de nombreux éléments d’origine occidentale. La distance qui sépare les deux partenaires s’estompe peu à peu et aboutit au développement d’une koinè culturelle qui caractérise l’ensemble des territoires soumis à la fin de la période considérée.

36La rencontre entre Assyriens et Araméens se déroula sur presque un demi-millénaire et si ses modalités émergent peu à peu de ces travaux récents, tout montre en tout cas sa richesse.

Haut de page

Notes

1 Nous remercions tout particulièrement le comité éditorial de Syria qui a accepté avec enthousiasme de publier les textes ci-dessous dans le cadre d’un dossier consacré à l’interaction entre les Assyriens et les Araméens, dont on trouvera la bibliographie générale en fin de section.

2 Nos remerciements s’adressent également au comité organisateur du Congrès qui a bien voulu accepter notre proposition et mettre à notre disposition une salle pendant une demi-journée. Nous sommes également très reconnaissantes aux collègues qui ont accepté de participer à cette table ronde et de se plier à l’exercice imposé : parler en quinze minutes de la si riche relation entre Assyriens et Araméens.

3 Cooper 2006b, p. 257-277, Kuzucuoglu & Marro 2006, Tainter 1987, Wilkinson 1997.

4 Voir par exemple Hunger & Pruzsinszky 2004 ; Klengel 2000 ou Ward & Sharp Joukowsky (éd.), 1992.

5 Neuman & Parpola 1987, Kirleis & Herles 2007.

6 Oren 2000.

7 Liverani 1988.

8 Voir notamment Briquel-Chatonnet 2004 ; Dion 1997 ; Lipiński 2000a ; Liverani, 1987 ; Masetti-Rouault 2001a ; Sader 1987 ; Schwartz 1989 ; Zadok 1991.

9 Sur la définition du pays d’Aššur, voir Postgate 1992.

10 Tenu 2009, p. 18-19 et p. 264-265.

11 Sader 1992, p. 159.

12 Nassouhi 1927, p. 6.

13 La ville Gadara Raqammatu fut perdue sous le règne de Tiglath-Phalazar II (966-935 av. J.-C.), mais le Hanigalbat fut définitivement réintégré à l’Assyrie dès celui d’Adad-nîrârî II (912-891).

14 Tenu 2006, 2007b, 2009, p. 247-249 et sous presse b.

15 Grayson 1991, p. 23.

16 Voir aussi Tenu 2006 et 2008. Pour un rappel historique de l’histoire du moyen Euphrate au Ier millénaire, Clancier 2006.

17 Fales, Radner, Pappi & Attardo 2005.

18 Matney et al. 2002, p. 69-70. Pour celle d’Aššur, voir Duri 2002, p. 92-101.

19 Rouault, ce volume, Briquel-Chatonnet 2004, p. 31 et suiv., Kepinski 2006, p. 107-110, Kepinski ce volume et Liverani 1992b.

20 Lipiński 2000a, p. 253, Dion 1987, p. 358-366.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1
Légende Principaux sites évoqués
Crédits Carte A. Tenu, fond de carte M. Sauvage d’après Fr. Joannès dir.,Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, R. Laffont, Paris 2001, p. 67.
URL http://journals.openedition.org/syria/docannexe/image/504/img-1.png
Fichier image/png, 380k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Christine Kepinski et Aline Tenu, « Avant-propos – Interaction entre Assyriens et Araméens »Syria, 86 | 2009, 7-15.

Référence électronique

Christine Kepinski et Aline Tenu, « Avant-propos – Interaction entre Assyriens et Araméens »Syria [En ligne], 86 | 2009, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/syria/504 ; DOI : https://doi.org/10.4000/syria.504

Haut de page

Auteurs

Christine Kepinski

UMR 7041 - ArScAn (Nanterre)

Articles du même auteur

Aline Tenu

UMR 7041 - ArScAn (Nanterre)

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search